Intervention de Slimane TOUDERT (cabinet du maire d’Aubagne) au forum social européen.
Florence, le 9 novembre 2012
Le thème de mon propos sera la gratuité des transports publics en Pays d’Aubagne. Le Pays d’Aubagne et ses 103 000 habitants, ses 12 villes et villages à proximité de Marseille, Aix-en-Provence et Toulon.
La gratuité a été instaurée le 15 mai 2009. 40 mois après, il y a 170% de voyages supplémentaires, 3 fois plus que les prévisions les plus optimistes. 61% des usagers sont des femmes, 50% ont moins de 25 ans. A noter qu’elle concerne tout le monde, les habitants du Pays d’Aubagne, les salariés, les visiteurs habituels, les touristes, vous peut-être un jour...
La devise de la République française, c’est « Liberté, égalité fraternité » ; en Pays d’Aubagne, c’est « Liberté, égalité, gratuité » !
Cette gratuité est le résultat d’un acte politique volontariste. En faveur de la liberté de se déplacer, la libre mobilité des citoyens dans la ville, d’une ville à une autre ; en faveur de la mixité sociale, des rencontres intergénérationnelles ; en faveur d’un meilleur pouvoir d’achat des familles – l’économie réalisée par une famille avec deux enfants avoisine les 600/700 euros sur une année.
Avec la gratuité des transports publics, on ne présente plus de « cartes pauvres », plus de « cartes jeunes », plus de « cartes vieux ». Il n’y a plus de contrôles des billets, plus de jeunes et moins jeunes obligés de frauder. Les conducteurs ne jouent plus aux gendarmes.
Le philosophe français Jean-Louis SAGOT-DUVOUROUX et la présidente de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne, Magali GIOVANNANGELI, ont cosigné un livre dans lequel ils écrivent : « La gratuité de circuler en transports publics entraîne la création et l’appropriation d’un espace commun où riches et pauvres sont à égalité (…).
C’est une sortie assez radicale du marché, économiquement plausible, qui fait en sorte que tout le monde accède à un bien selon ses besoins et non selon ses moyens ». Fin de citation. Autrement dit, la valeur d’usage remplace la valeur marchande.
Un petit mot sur le financement de cette gratuité, car la gratuité coûte évidemment de l’argent même si la nette hausse de fréquentation des bus a diminué par 2 le coût de chaque voyage.
En France, dans les territoires de plus de 10 000 habitants, les collectivités peuvent percevoir une contribution des entreprises de plus de 9 salariés pour financer les transports publics ; ce pourcentage sur la masse salariale des entreprises, c’est le « versement transport ». En Pays d’Aubagne, le taux est à son plus haut niveau légal grâce à un nouveau projet lancé, l’ouverture à partir de 2014 d’une ligne de tramway qui sera également gratuite.
La gratuité a un coût, je le disais à l’instant. Il faut équilibrer les comptes après la disparition de la billetterie et les presque 2 millions d’euros d’investissements réalisés pour améliorer la qualité de service, par l’achat de 9 nouveaux bus et l’emploi de nouveaux conducteurs notamment. Le « versement transport » des entreprises couvre l’intégralité de ses dépenses nouvelles ; les contribuables du Pays d’Aubagne ne déboursent aucun centime.
A l’heure de la gestion libérale de la crise – crise qu’elle a elle-même créée au demeurant –, il est intéressant d’observer que l’argent prélevé sur les entreprises libère du pouvoir d’achat pour leurs salariés et plus généralement pour les familles…
Cette politique publique de gratuité est très marginale en France où l’impossibilité de s’émanciper des normes de gestion qui accompagnent la crise est érigée en modèle, en réalité immuable, gravée dans le marbre.
L’expérimentation en Pays d’Aubagne montre toutefois qu’il est possible de s’affranchir des interdits ; elle ouvre ainsi de nouveaux possibles dans le monde d’aujourd’hui, des utopies à hauteur d’hommes bien en phase avec l’esprit du forum social, européen de Florence.
En France, en Europe et à travers le monde, des villes et même de grandes métropoles s’interrogent, se renseignent, envisagent parfois de se lancer dans l’aventure. En France, 20 territoires ont instauré la gratuité des transports publics, d’autres s’apprêtent à les imiter. La présidente du Pays d’Aubagne a été invitée il y a quelques jours à Tallin, la capitale de l’Estonie, pour raconter ce qu’elle expérimente. Tallin – 400 000 habitants – deviendra en janvier 2013 la première capitale européenne à offrir des transports gratuits à ses résidents.
Aujourd’hui, il est remarquable que des politiques alternatives sont expérimentées toujours avec succès ; même leurs détracteurs idéologiques, aussi acharnés soient-ils, sont de plus en plus à court d’arguments. C’est un signe encourageant pour les progressistes. C’est un message universel qui est lancé.
Ce mouvement, s’il est bien réel, n’est jamais linéaire pour autant, abouti une fois pour toutes. Ainsi, en France, l’actuel gouvernement prépare dans la précipitation une nouvelle loi destinée à la création de vastes métropoles à vocation européenne dans lesquelles les villes, les intercommunalités seraient noyées, ignorées. Ainsi, les politiques alternatives de proximité – au plus près des citoyens usagers des services publics – seraient ni plus ni moins rayées de la carte. Tout se déciderait ailleurs que dans les espaces démocratiques proches des habitants.
Face à ce danger, la riposte est engagée, je ne m’y attarderai pas ici.
Je retiendrai que rien n’est irréversible, ni dans un sens ni dans l’autre. Il est essentiel de conforter – pour les enrichir – les politiques progressistes alternatives afin de les sortir de la marginalité. De les conforter par l’émergence de nouvelles expérimentations de politiques publiques audacieuses et de viser leur généralisation.
La gratuité des transports en Pays d’Aubagne, par exemple, n’a, à terme, que peu d’intérêt en soi. Les bus gratuits vous transportent jusqu’aux portes de Marseille, la capitale régionale, où il faut acheter un ticket pour se déplacer. Il faut pousser les murs pour que la gratuité bénéficie à plus de citoyens, soit expérimentée à plus vaste échelle territoriale. Pour que les embouteillages diminuent, pour que la pollution baisse par la réduction des gaz à effet de serre.
Avant les expérimentations de gratuité, personne ou presque n’en parlait. Aujourd’hui, un match entre ses partisans et ses adversaires a le grand mérite d’avoir démarré, même si c’est un peu David contre Goliath, si vous m’autorisez l’expression.
Comme le dit si bien le politologue français Paul ARIES, « la gratuité de l’eau vitale, celle des transports en commun, de la restauration scolaire ou des services funéraires, tous ces petits bouts de gratuité ne sont pas une révolution mais ils suscitent le désir de vivre autrement ».
Ces gratuités sont d’ailleurs souvent appelées « gratuités d’émancipation ». Deux mots que les altermondialistes mobilisés ici à Florence apprécient particulièrement me semble-t-il…
La gratuité a été instaurée le 15 mai 2009. 40 mois après, il y a 170% de voyages supplémentaires, 3 fois plus que les prévisions les plus optimistes. 61% des usagers sont des femmes, 50% ont moins de 25 ans. A noter qu’elle concerne tout le monde, les habitants du Pays d’Aubagne, les salariés, les visiteurs habituels, les touristes, vous peut-être un jour...
La devise de la République française, c’est « Liberté, égalité fraternité » ; en Pays d’Aubagne, c’est « Liberté, égalité, gratuité » !
Cette gratuité est le résultat d’un acte politique volontariste. En faveur de la liberté de se déplacer, la libre mobilité des citoyens dans la ville, d’une ville à une autre ; en faveur de la mixité sociale, des rencontres intergénérationnelles ; en faveur d’un meilleur pouvoir d’achat des familles – l’économie réalisée par une famille avec deux enfants avoisine les 600/700 euros sur une année.
Avec la gratuité des transports publics, on ne présente plus de « cartes pauvres », plus de « cartes jeunes », plus de « cartes vieux ». Il n’y a plus de contrôles des billets, plus de jeunes et moins jeunes obligés de frauder. Les conducteurs ne jouent plus aux gendarmes.
Le philosophe français Jean-Louis SAGOT-DUVOUROUX et la présidente de la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne, Magali GIOVANNANGELI, ont cosigné un livre dans lequel ils écrivent : « La gratuité de circuler en transports publics entraîne la création et l’appropriation d’un espace commun où riches et pauvres sont à égalité (…).
C’est une sortie assez radicale du marché, économiquement plausible, qui fait en sorte que tout le monde accède à un bien selon ses besoins et non selon ses moyens ». Fin de citation. Autrement dit, la valeur d’usage remplace la valeur marchande.
Un petit mot sur le financement de cette gratuité, car la gratuité coûte évidemment de l’argent même si la nette hausse de fréquentation des bus a diminué par 2 le coût de chaque voyage.
En France, dans les territoires de plus de 10 000 habitants, les collectivités peuvent percevoir une contribution des entreprises de plus de 9 salariés pour financer les transports publics ; ce pourcentage sur la masse salariale des entreprises, c’est le « versement transport ». En Pays d’Aubagne, le taux est à son plus haut niveau légal grâce à un nouveau projet lancé, l’ouverture à partir de 2014 d’une ligne de tramway qui sera également gratuite.
La gratuité a un coût, je le disais à l’instant. Il faut équilibrer les comptes après la disparition de la billetterie et les presque 2 millions d’euros d’investissements réalisés pour améliorer la qualité de service, par l’achat de 9 nouveaux bus et l’emploi de nouveaux conducteurs notamment. Le « versement transport » des entreprises couvre l’intégralité de ses dépenses nouvelles ; les contribuables du Pays d’Aubagne ne déboursent aucun centime.
A l’heure de la gestion libérale de la crise – crise qu’elle a elle-même créée au demeurant –, il est intéressant d’observer que l’argent prélevé sur les entreprises libère du pouvoir d’achat pour leurs salariés et plus généralement pour les familles…
Cette politique publique de gratuité est très marginale en France où l’impossibilité de s’émanciper des normes de gestion qui accompagnent la crise est érigée en modèle, en réalité immuable, gravée dans le marbre.
L’expérimentation en Pays d’Aubagne montre toutefois qu’il est possible de s’affranchir des interdits ; elle ouvre ainsi de nouveaux possibles dans le monde d’aujourd’hui, des utopies à hauteur d’hommes bien en phase avec l’esprit du forum social, européen de Florence.
En France, en Europe et à travers le monde, des villes et même de grandes métropoles s’interrogent, se renseignent, envisagent parfois de se lancer dans l’aventure. En France, 20 territoires ont instauré la gratuité des transports publics, d’autres s’apprêtent à les imiter. La présidente du Pays d’Aubagne a été invitée il y a quelques jours à Tallin, la capitale de l’Estonie, pour raconter ce qu’elle expérimente. Tallin – 400 000 habitants – deviendra en janvier 2013 la première capitale européenne à offrir des transports gratuits à ses résidents.
Aujourd’hui, il est remarquable que des politiques alternatives sont expérimentées toujours avec succès ; même leurs détracteurs idéologiques, aussi acharnés soient-ils, sont de plus en plus à court d’arguments. C’est un signe encourageant pour les progressistes. C’est un message universel qui est lancé.
Ce mouvement, s’il est bien réel, n’est jamais linéaire pour autant, abouti une fois pour toutes. Ainsi, en France, l’actuel gouvernement prépare dans la précipitation une nouvelle loi destinée à la création de vastes métropoles à vocation européenne dans lesquelles les villes, les intercommunalités seraient noyées, ignorées. Ainsi, les politiques alternatives de proximité – au plus près des citoyens usagers des services publics – seraient ni plus ni moins rayées de la carte. Tout se déciderait ailleurs que dans les espaces démocratiques proches des habitants.
Face à ce danger, la riposte est engagée, je ne m’y attarderai pas ici.
Je retiendrai que rien n’est irréversible, ni dans un sens ni dans l’autre. Il est essentiel de conforter – pour les enrichir – les politiques progressistes alternatives afin de les sortir de la marginalité. De les conforter par l’émergence de nouvelles expérimentations de politiques publiques audacieuses et de viser leur généralisation.
La gratuité des transports en Pays d’Aubagne, par exemple, n’a, à terme, que peu d’intérêt en soi. Les bus gratuits vous transportent jusqu’aux portes de Marseille, la capitale régionale, où il faut acheter un ticket pour se déplacer. Il faut pousser les murs pour que la gratuité bénéficie à plus de citoyens, soit expérimentée à plus vaste échelle territoriale. Pour que les embouteillages diminuent, pour que la pollution baisse par la réduction des gaz à effet de serre.
Avant les expérimentations de gratuité, personne ou presque n’en parlait. Aujourd’hui, un match entre ses partisans et ses adversaires a le grand mérite d’avoir démarré, même si c’est un peu David contre Goliath, si vous m’autorisez l’expression.
Comme le dit si bien le politologue français Paul ARIES, « la gratuité de l’eau vitale, celle des transports en commun, de la restauration scolaire ou des services funéraires, tous ces petits bouts de gratuité ne sont pas une révolution mais ils suscitent le désir de vivre autrement ».
Ces gratuités sont d’ailleurs souvent appelées « gratuités d’émancipation ». Deux mots que les altermondialistes mobilisés ici à Florence apprécient particulièrement me semble-t-il…